La lutte des grands contre les petits, sur le papier, est complètement déséquilibrée. Parfois, il suffit qu'un grand éternue pour qu'un petit s'enrhume, c'est comme ça. Et c'est pour cela que les bien-pensants jugent normal de se placer du côté du petit, déjà qu'il est petit, si en plus il se fait mettre sur la gueule, alors où va le monde. Grosso modo, c'est l'argument numéro un pour toujours être du côté du plus faible, et ce depuis David et Goliath.
Ah c'est sûr que si Goliath avait gagné, tout irait bien mieux. On nous bassinerait moins avec ces histoires de "Grands-contre-petits", et tous les proverbes du genre "on a toujours besoin d'un plus petit que soi", "on ne frappe pas un plus petit que soi" ou "ce qui est petit est mignon" viendraient largement alléger nos dictionnaires. Ils auraient été remplacés par d'autres, plus terre-à-terre, style "Les grands d'abord, les forts ensuite, les petits feront la vaisselle", qui seraient plus en phase avec l'époque actuelle, admettons-le.
Je me revois encore face à la première araignée qui est venue me déranger pendant mon sommeil. Je n'étais pas bien vieux, mais complètement effrayé par cette chose si minuscule mais si terrifiante. Puisque j'étais plus fort, il fallait donc, quelque part, que je la laisse gagner, m'enrober de fil d'araignée de merde pour me laisser engloutir comme une saloperie de mouche, et tout ça parce que j'étais le plus fort. Faut vraiment s'appeler La Fontaine pour trouver du sex-appeal à ces bestioles.
C'est pourquoi, devant la vue du plus petit insecte ou reptile, on hurle comme des pucelles devant un film de Rocco Siffredi: on est tétanisé devant l'enjeu d'écraser un plus petit. Je revois encore ma mère se pencher au-dessus de mon lit pour tenter vainement de me rassurer. Cette phrase-là, tout le monde l'a déjà entendue: "Les petites bêtes ne mangent pas les grandes". Va dire ça à cette foutue araignée qui n'attend qu'une chose: sauter dans ma bouche pendant que je dors pour me pomper le sang du coeur.
Et ça ne s'arrête pas là: les médias ont tôt fait de prendre le relais. Les araignées sont super importantes car elles bouffent les saloperies de je sais pas quoi, les vers de terre aérent la terre et la rendent tendre et fertile, les lézards portent bonheur, etc... A se dire qu'on ne sert à rien, nous, les humains grands et forts, que le monde se débrouillerait mieux sans nous. Pff. N'importe quoi.
Le travail de sape fait toujours son travail, et de Goliath à mon araignée en passant par La Fontaine, les petits et les faibles ont gagné leurs galons. A tel point que certains deviennent président de la République. A tel point aussi que les gamins préfèrent regarder des dessins-animés avec des insectes qui parlent plus que de vrais films, un beau jour on vendra des doudous-moustiques, ça nous pend au nez.
Alors vous imaginez bien que, tranquillement avachi sur mon canapé, j'éprouve une forme d'effroi saupoudré de colère devant la souris (sont-elles plusieurs?) qui vient me narguer en sortant de derrière les meubles.
J'ai l'impression que c'est toute la race des souris qui me partouze lorsque ces petits yeux vides d'expression me fixe, avant de filer sous l'évier de la cuisine et grignoter mes paquets de pâtes.
Sur les forums dédiés à cette forme d'invasion, on trouve tout un tas de paroles pseudo-réconfortantes, comme quoi les souris ont plus peur que nous, qu'il faut laisser faire, qu'il faut juste les effrayer un peu pour qu'elles aillent faire une crise cardiaque derrière la téloche. Mais c'est des conneries, elles sont là, dans les murs, dans les conduites d'air, partout, récitant "Le lion et le rat" à me rendre fou, trimballant leus silhouettes malingres le long des plinthes de MON appartement.
Je repense alors à ma mère, encore, qui me disait à chacune des grandes étapes de ma vie "Oh mon petit, comme j'aimerais être une petite souris pour pouvoir voir ce que tu fais", et le cauchemar reprend de plus belle: et si c'était maman qui était là? Et si les bouddhistes avaient raison avec leurs histoires de réincarnation? Et si les films de Stuart Little étaient prémonitoires? Et si l'avènement des petits était pour bientôt, genre "La planète des singes"?
C'est décidé, demain j'achète un chat. Et pis un chien, pour chasser le chat. Et pis un crocodile, pour chasser le chien. Et pis un éléphant, pour chassser le crocodile. Et pis un rat, pour chasser l'éléphant. Et basta les problèmes de souris.