Quand j'étais gamin, j'avais beaucoup de mal à m'endormir. Comme tous les gosses, j'imagine. "Compte les moutons", me disait-on, mais c'était de belles conneries. Aujourd'hui encore, je n'arrive toujours pas à comprendre comment compter des moutons peut endormir: ça veut dire que les bergers sont narcoleptiques? Bref. Pour tromper l'ennui au fond du pieu, les moutons ne fonctionnant pas, j'essayais d'imaginer comment fonctionnaient les choses et comment elles avaient pu être inventées.

      Généralement, je trouvais une solution, qu'elle soit vraisemblable ou pas. La tondeuse à gazon, par exemple, c'était un peu comme une grosse râpe à fromage à roulettes, et en fonction de l'espacement entre les trous, on pouvait faire des dessins sur sa pelouse. Comme sur les pelouses des stades de foot, façon "jardin à la française".  L'hélicoptère, c'était plus difficile mais bon, j'imaginais qu'une groupe anti-avions avait voulu faire son propre business pour se poser et décoller sans élan. Cependant, un truc m'a toujours résisté: courir.

      Dans l'absolu, tous les sports sont absolument cons, ça a été dit et redit. Mais "la course", le simple fait de marcher, mais en plus vite, ça, ça dépasse encore plus l'entendement. Je tentais de m'imaginer le premier homme qui a couru alors qu'il se promenait dans les bois et qu'un T-Rex l'a pris en chasse, putain décidément il me rattrappe super vite, faut que je trouve une solution. Et paf! Il s'est foutu à courir. Il a dû donné le truc à ses autres potes avant de mourir de vieillesse à 17 ans.

     Dans la rue, on tombe souvent sur des tas de gens qui courent. On ne sait pas pourquoi, on ne sait pas pour qui, mais mine de rien, on aimerait bien le savoir. Ce mec en costard-cravate, par exemple, est-ce qu'il est poursuivi par le KGB? Un T-Rex? Ou bien  a-t-il peur de rater son métro ou un rencard? On n'en sait rien, on ne le saura probablement jamais, et c'est ça qui rend fou, si tout le monde marchait tout le temps, y'aurait moins de monde dans les salles d'attente des psys.

       Parce qu'il ne faut pas perdre de vue qu'à part sur une piste d'athlétisme en short qui brille avec un numéro dans le dos, on a l'air con quand on court. Faut pas croire que parce qu'on est mieux que les autres, plus investi, plus vivant, c'est absurde. Les talons claquent sur le trottoir, la cravate vous fouette le visage, la veste à épaulettes remonte sous les oreilles: c'est tout sauf élégant. Sans parler du cartable à la main qu'on balance en arrière, en avant, par-dessus les gens. Voilà: à moins d'être en baskets sans rien dans les mains ou dans les poches (cf: le portable qui vous rentre dans l'aine et la monnaie qui fait gling-gling), autant marcher, tant pis, fallait partir plus tôt.

Mais il y a quelque chose de bien pire que tout ça, une autre invention de l'homme (dont la genèse semble transparente) qui vient tout chambouler: le sac à dos. Alors oui, le sac-à-dos, ça a été inventé pour porter des gros trucs quand on a de petites mains, ça, tout le monde le sait. C'est aussi fait pour libérer les mains tout en portant 10kg de bouquins, ça tout le monde le sait aussi. Mais savait-on qu'avec un sac à dos, on ne peut pas courir?

      Le sac-à-dos dans le dos, c'est pire que le sac-à-main dans la main quand il est question de course. C'est toujours un spectacle enivrant de voir quelqu'un courir avec un sac à dos et d'observer les techniques. L'un s'en fout, et laisse le sac faire du yo-yo. L'autre tient bien fort les bretelles vers le bas, et court les bras en équerre et près du corps. Le dernier, le plus beau, court les bras tendus, faisant des mouvements de droite à gauche, et court "horizontal" de façon à ce que le sac bouge le moins possible. C'est magique, on aimerait les voir toujours en retard.

      Non, décidément, les inventions ont beau être plus belles les unes que les autres, y'a bien un moment où il faut admettre qu'on commence à avoir l'air bordeline. J'imagine maintenant que si l'homme qui a couru le premier rencontrait celui qui a inventé le sac à dos, ils se foutraient sur la gueule. CQFD.